« Analyse de la faisabilité technique et économique de la recharge artificielle dans le bassin RMC »

Auteurs : Yvan CABALLERO, Fanny MOIROUX (BRGM D3E/NRE)

Présentation du projet

Les eaux souterraines représentent une ressource essentielle pour l’économie de nombreux territoires du bassin Rhône-Méditerranée-Corse (RMC). Toutefois du fait des besoins importants à satisfaire pour les différentes catégories d’usage (en particulier l’alimentation en eau potable et l’irrigation agricole en période estivale), certaines masses d’eau se trouvent en situation de déséquilibre structurel. La réponse classique des gestionnaires consiste à définir un « volume prélevable », puis à plafonner les prélèvements et rechercher des ressources de substitution (retenues collinaires, transferts interbassin). Une solution complémentaire, encore peu explorée en France, consiste à augmenter artificiellement la recharge de ces masses d’eau. Largement mise en œuvre dans d’autres pays, la recharge artificielle (RA) présente des avantages techniques (flexibilité), économiques (coût d’investissement inférieur) et environnementaux (moindre consommation d’énergie) qui invitent à en évaluer le potentiel dans le bassin RMC.

La RA représente donc une solution à étudier lors de l’élaboration des plans d’adaptation au changement climatique. Dans ce contexte, le projet mené dans le cadre de la convention cadre BRGM-Agence de l’Eau RMC (de 2016 à 2018), se propose d’explorer le potentiel de la RA dans le bassin RMC, puis plus localement au niveau de territoires en déséquilibre.

Cette réflexion contribue à définir les zones favorables à la recharge artificielle et à évaluer sa faisabilité technique et économique dans des zones pilotes représentatives du contexte du bassin, dans le but d’établir des recommandations pour l’aide à la sélection de sites potentiels.

Schéma détaillant le type de dispositifs de recharge artificielle indirecte et direct
Figure 1: Types de dispositifs de recharge
artificielle indirecte (a) et directe (b)
considérés dans l’analyse

 


Utilisation de la BDLISA

Pour conduire une analyse cartographique sur la possibilité de mettre en œuvre des dispositifs de recharge artificielle sur le territoire du bassin RMC, deux catégories de critères ont été identifiées: (i) les critères dits physiques et (ii) les critères dits de contrainte. Les critères à décrire dans chaque catégorie dépendent du type de dispositif de recharge artificielle que nous allons considérer, suivant qu’il appartient aux techniques de recharge indirecte (type bassins d’infiltration) ou directe (forages d’injection) (Figure 1).


  • Pour la faisabilité de la Recharge Artificielle indirecte sur le bassin RMC

En ce qui concerne la recharge indirecte, les critères suivants ont été retenus:

  • Physiques : BDLISA (V1, 2015), pente, IDPR, épaisseur de la zone non-saturée (ZNS)
  • Contrainte : occupation du sol, zones inondables par remontée de nappe, zones protégées.

La carte des critères physiques a été réalisée en moyennant l’ensemble des critères pour chaque entité BDLISA de Niveau 3 (représentation la plus détaillée du référentiel) et d’Ordre 1 (pour ne conserver que les entités affleurantes, sur lesquelles les dispositifs de recharge indirecte peuvent être appliqués). Le critère BDLISA a été pris en compte en considérant les champs suivants (Figure 2) :

Tableau de Présentation des codes utilisés dans la BDLISA en fonction des champs
Figure 2: Présentation des codes utilisés dans la BDLISA en fonction des champs

 

Une carte du critère BDLISA a été réalisée en attribuant une note à chacun des codes pour l’ensemble des entités du bassin RMC (Figure 3, Figure 4a). Les champs issus de la BDLISA sont combinés pour obtenir une note globale pour le critère physique BDLISA. Cette combinaison est faite en pondérant de manière arbitraire et sur la base de notre expertise, les champs les uns par rapport aux autres, de manière à traduire leur importance relative. Ainsi, les champs Etat et Thème sont considérés comme moins importants que les deux restants dans la mesure où ils sont plus généraux :

BDLISA = ( 2 × Nature + 1 × Etat + 2 × Milieu + 1 × Thème ) / 6

La carte des critères physiques a été obtenue en pondérant les différents critères suivant un Processus d'Analyse Hiérarchique (Saaty, 2008 ), analyse à laquelle ont été associés les membres du Comité de Pilotage du projet (Figure 4b) :

Critères Physiques = ( 0.56 × BDLISA + 0.11 × Pente + 0.17 × IDPR + 0.17 × ZNS )

Suite aux échanges avec le Comité de Pilotage sur le résultats, un déclassement (-1) systématique de la note finale obtenue a été appliqué pour les entités contenues dans la Surcouche Karst de la BDLISA (le résultat final de classification des critères physiques ne permettait pas de mettre suffisamment en avant le caractère généralement peu capacitif des formations karstiques) (Figure 4c).

Mise en relation des codes décrivant les champs de la BDLISA retenus, avec la notation de faisabilité de la recharge artificielle indirecte
Figure 3 : Mise en relation des codes décrivant les champs de la BDLISA retenus,
avec la notation de faisabilité de la recharge artificielle indirecte

 

Carte de résultat pour la Recharge indirecte - a) Note BDLISA. b) Carte finale des critères physiques. c) Entités déclassées (en rouge) de la surcouche Karst (gris)
Figure 4 : Recharge indirecte - a) Note BDLISA. b) Carte finale des critères physiques.
c) Entités déclassées (en rouge) de la surcouche Karst (gris)

  • Pour la faisabilité de la Recharge Artificielle directe sur le bassin RMC

En ce qui concerne la recharge directe, les critères suivants ont été retenus :

  • Physiques : BDLISA (V1, 2015), épaisseur de la zone non-saturée (ZNS) ;
  • Contrainte : occupation du sol, zones protégées.

La carte des critères physiques a été réalisée à l’échelle des entités BDLISA de Niveau 3 et d’Ordres 1, 2 et 3 (la RA directe pouvant être appliquée aux formations affleurantes ainsi qu’aux aquifères profonds, captifs ou non). Le critère BD LISA a été pris en compte en considérant les champs décrits en Figure 2. Des notes sont ensuite établies pour chaque critère, comme présenté sur la Figure 5. Pour chaque entité de la couche résultante de l’union des trois ordres sur le bassin, une note est calculée pour chaque ordre, en utilisant la même règle de pondération que celle utilisée pour la RA indirecte. La meilleure note des trois est ensuite attribuée au critère physique BDLISA pour l’entité considérée. Comme pour la RA indirecte, un déclassement (-1) de la note finale obtenue a été réalisé pour les entités contenues dans la Surcouche Karst de la BDLISA (Figure 6).

Tableau de mise en relation des codes décrivant les champs de la BDLISA retenus avec la notation de faisabilité de la recharge artificielle directe
Figure 5 : Mise en relation des codes décrivant les champs de la BDLISA retenus (couplé à la notion d’épaisseur de la ZNS
qui qualifie le stockage potentiel – plus la ZNS est épaisse, plus on peut imaginer élever le niveau de remplissage
de l’aquifère), avec la notation de faisabilité de la recharge artificielle directe  

 

Carte de la Recharge directe - a) Note BD Lisa. b) Carte finale des critères physiques. c) Entités déclassées (en rouge) de la surcouche Karst (gris)
Figure 6 : Recharge directe - a) Note BDLISA. b) Carte finale des critères physiques. c) Entités déclassées (en rouge) de la surcouche Karst (gris)

 


Discussions autour de l'utilisation de la BDLISA

Dans le cadre de cette analyse spatiale multicritère, la BDLISA a permis la réalisation de cartes des critères physiques qualifiant le caractère favorable des entités hydrogéologiques à la recharge artificielle, à une échelle bien définie (entités de Niveau 3). Elle apporte également des informations sur les caractéristiques générales des entités hydrogéologiques du territoire concerné, et permet de leur appliquer une typologie, comme décrit tout au long du §2. Cependant, plusieurs difficultés dans l’utilisation de ce référentiel ont pu être relevées :

  • Classification des entités à partir du contenu des champs « Nature », « Etat », « Thème » et « Milieu »:

Ces champs ne contiennent pas de valeurs numériques de perméabilité, diffusivité ou de coefficient d’emmagasinement, mais des codes qui font référence à des descriptifs plus ou moins précis. L’attribution d’ordres de grandeur afin d’attribuer une note à chaque champ se fait à partir de ces descriptifs qualitatifs, ce qui est forcément discutable.

  • Identification des entités karstiques à partir des informations renseignées dans le champ « Thème »:

Ce champ n’apparaît pas suffisant pour décrire toutes les situations puisqu’il ne fait, par exemple, pas la distinction, pour les roches sédimentaires, entre les domaines karstiques et le reste. Pour cette raison, il doit être combiné lors de l’analyse avec la surcouche karst. Or, si les karsts permettent généralement une infiltration très rapide de l’eau (ce qui peut être considéré comme favorable à la recharge artificielle), ils peuvent l’évacuer tout aussi rapidement, ce qui limite leur capacité de stockage. Cependant, dans certaines conditions, qui ne sont pas décrites dans la BDLISA (cas de circulations profondes sous le niveau d’émergence notamment), ils peuvent présenter un intérêt certain pour la recharge artificielle (karsts exploités par « gestion active », qui consiste à les vider par pompage pour pouvoir utiliser leur capacité de stockage). À ce jour cependant, la description disponible dans la BDLISA ne permet pas de différencier ces différentes situations, obligeant à un déclassement systématique des entités présentes dans la Surcouche Karst, pour éviter d’attribuer à ces systèmes un caractère trop favorable par rapport à la réalité.

  • Qualité des informations renseignées dans les différents champs: 

Plusieurs modifications ont dû être réalisées à dire d’expert, dans les descriptifs des champs utilisés, lors de l’analyse détaillée des résultats de la classification. Elles ont été signalées pour être intégrées dans la version 2018 du référentiel. Ceci montre toute l’importance de conserver, au moment de la présentation des résultats, la possibilité de facilement retrouver les valeurs attribuées à chaque champ de la BDLISA considéré, pour identifier la cause d’un résultat contre-intuitif.

  • Couplage de l’analyse du critère BDLISA avec les informations contenues dans la base de donnée du Référentiel Hydrogéologique Français, version 1 (BDRHF®V1): 

Cette base de données, qui constitue le premier découpage hydrogéologique de la France métropolitaine, présente l’avantage, par rapport à la BDLISA qui lui est postérieure, de proposer des ordres de grandeur pour les principaux paramètres hydrodynamiques (K, T, S), très utiles pour identifier le caractère favorable à la recharge artificielle d’une entité hydrogéologique. Il convient de remarquer que seules 1/3 des 1100 entités que la BDRH®V1 contient pour le bassin RMC sont renseignées sur ces paramètres et que, de plus, les informations disponibles sont inégales suivant les paramètres considérés (190 entités renseignées en perméabilité et seulement 20 entités renseignées en termes d’emmagasinement). Malgré tout, il pourrait être intéressant de pouvoir inclure les informations disponibles pour l’analyse cartographique faite à partir de la BDLISA. Malheureusement, les entités bancarisées dans la BDRHF®V1 sont codifiées suivant une nomenclature différente de celle de la BDLISA et il ne semble pas exister de documents d’archives qui permettraient de retrouver les correspondances entre codes BDRHF®V1 et BDLISA (cette correspondance pourrait éventuellement être retrouvée par analyse cartographique, mais elle serait a priori assez longue à mener). Un travail de mise à jour de la BDLISA pour permettre d’intégrer les informations disponibles dans la BDRHF, mais aussi dans les synthèses hydrogéologiques régionales ou de bassin, serait bienvenu de ce point de vue.


Informations complémentaires sur l'étude

Financeurs : Agence de l'Eau Rhône Méditerranée Corse, BRGM

Dates du projet : 2016-2018

Références : Caballero Y., Moiroux F., Bouzit M., Desprats J-F., Maréchal J-C. (2018) – Faisabilité de la recharge artificielle dans le bassin Rhône Méditerranée Corse: contexte et analyse cartographique. Rapport final. BRGM/RP-67534-FR, 162 p., 62 fig., 4 ann., 1 CD.